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8. L'accueil sur une terre d'exil |
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Depuis 10 ans déjà, Enée et les exilés Troyens sillonnent la Méditerranée à la recherche d'une terre où installer leurs dieux. Ils ont échappé au découragement, aux tempêtes, à tous les périls que leur envoyait Junon ; Neptune vient encore de leur épargner les sortilèges de Circé, la magicienne qui transforme les humains en lions, sangliers, ours, loups et autres animaux.
Remontant vers le nord au sortir des Enfers, Enée pénètre bientôt dans l'estuaire accueillant du Tibre et s'installe pour un repas bien mérité sur les berges de la rivière. La faim leur tenaillait l'estomac. Aussi, lorsqu'ils eurent mangé tout ce qu'ils avaient préparé, avalèrent-ils aussi les gâteaux de froment sur lesquels ils avaient déposé leurs mets : Nous mangeons aussi nos tables ! s'écria alors Iule. Enée, plein de joie, se souvint de ce que lui avait prédit la Harpye Céléno : ils touchaient enfin au terme de leur voyage.
Pendant ce temps, d'autres signes du ciel s'étaient aussi manifesté à la cour de Latinus, le roi du Latium où les Troyens venaient d'accoster : un essaim d'abeilles était venu se suspendre au laurier sacré planté au milieu de la cour du palais ; c'était le signe, dit le devin, qu'un étranger arrivait à la tête d'une armée. Mais ce n'était pas tout : tandis que Lavinia, la fille du roi, allumait des torches auprès d'un autel, voilà que sa chevelure s'embrase et communique le feu à tout le palais : la jeune-fille connaîtra un destin extraordinaire, prophétisa-t-on, mais au prix de guerres pour son peuple. La guerre allait donc revenir ?
Mais pour l'instant, les uns et les autres sont loin de penser au pire. Enée s'est en effet empressé d'envoyer cent ambassadeurs au roi du pays ; ils sont porteurs de rameaux d'olivier, signe de paix. Les recevant avec les égards dus aux étrangers, le roi Latinus, qui a appris le destin de Troie et le long voyage des Troyens sur les mers, se montre aussitôt bienveillant : « Vous êtes au port, leur dit-il, ne refusez pas notre hospitalité. » Quant à Ilionée, le porte-parole des Troyens, il répond : « Nous ne demandons qu'un coin de terre pour les dieux de nos pères, et un rivage paisible, l'air et l'eau, ces biens offerts à tous. » Ces paroles de bienvenue s'accompagnent de cadeaux prestigieux, dignes de rois. Latinus offre même la main de sa fille Lavinia au chef des étrangers et, en gage d'alliance, offre aux Troyens le tiers de ses chevaux.
Cette fois, pour Enée et les siens, le voyage est bien terminé. Mais ils ne connaîtront pas le rivage paisible qu'ils sollicitaient de Latinus. Après avoir quitté Troie en flammes, détruite par la guerre, c'est une nouvelle guerre qui les attend. Et tous s'emploient à la rendre inévitable. Junon, tout d'abord, qui enrage de voir les Troyens parvenus en Italie malgré les embûches qu'elle a semées sur leur chemin. Amata ensuite, la femme de Latinus, excitée par la furie Allecto : elle rêvait pour sa fille d'un mariage avec le prince Turnus et ne peut se résoudre à cette union avec un étranger. Le vieux roi Latinus est impuissant à éviter la folie meurtrière : « Hélas ! dit-il, les destins nous brisent ! La tourmente nous emporte ! » Désespéré, il s'enferme dans son palais et abandonne les rênes des affaires. L'Italie entière s'enflammera et, ici encore, la guerre sèmera son lot de désolations. Y a-t-il donc de si grandes colères dans le coeur des dieux ? : c'est par cette question que Virgile concluait son invocation à la muse. Il ne pouvait pas mieux dire.