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      fait partie des archives d'AlterFocus et n'est plus mise à jour La vie des Israéliens trahie par la peur
       
      La vie quotidienne des Israéliens n'est plus la même depuis les
      attentats de l'intifada. La peur a même poussé des parents à empêcher
      leurs enfants d'aller à l'école.
       SERGE DUMONT - JÉRUSALEMIls sont bien, hein ? Lorsqu'on entame la conversation avec
      lui, Yoram Zaccaï, fonctionnaire retraité, devient intarissable sur ses
      nouveaux volets blindés. Des plaques métalliques fendues d'une meurtrière
      qu'il a installées il y a deux semaines aux fenêtres de sa petite maison
      d'Abou Tor, près de Jérusalem. Avant l'intifada, Abou Tor était un
      petit paradis de calme et de verdure, soupire-t-il. Juifs et Arabes
      cohabitaient calmement et certains étaient même devenus amis. Mais tout
      est fini maintenant : c'est chacun pour soi dans le quartier. Ils ont
      peur de nous, on a peur d'eux, et depuis qu'un groupe de jeunes Arabes du
      village a poignardé une promeneuse juive à la mi-février, plus personne
      n'ose se regarder en face. La peur des attentats est omniprésente en Israël. A la demande de
      nombreux parents, la plupart des municipalités ont annulé les cortèges
      carnavalesques de Pourim prévus de longue date : les familles ne
      voulaient pas que leurs enfants défilent dans les rues malgré la présence
      annoncée d'un policier armé pour chaque participant présent. A
      Tel-Aviv, celles-ci se sont déroulées dans un périmètre hermétiquement
      protégé par des unités d'élite de l'armée. Cette peur est physiquement palpable où que l'on aille et elle s'accroît
      au rythme des attentats quotidiens. A Jérusalem, il suffit de se promener
      devant un arrêt d'autobus avec un walkman en main pour attirer les
      regards et pour se faire fouiller par des policiers en patrouille.
      Habituellement grouillantes de monde, les principales artères Yaffo et
      Ben Yehouda n'ont pas retrouvé leur activité d'antan. Les magasins
      organisent des soldes à moins 70 % pour tenter d'attirer les
      clients. J'ai l'impression que les gens ne viendraient pas même si on
      leur offrait la marchandise, lâche Olivia, la gérante française de
      la boutique de mode. Parfois, ils semblent tellement sur leurs gardes
      qu'ils regardent partout en même temps comme s'ils s'étaient fait
      greffer des yeux dans le dos. La police de Jérusalem multiplie pourtant les contrôles dans ces rues
      sensibles. En moyenne, les Arabes qui s'y aventurent sont contrôlés tous
      les dix mètres. Mais cela ne suffit à faire revenir les consommateurs.
      Ni à faire fonctionner normalement le reste de la ville. Nous en
      sommes au point de devoir faire intervenir nos assistantes sociales parce
      que certains parents refusent d'envoyer leurs enfants à l'école de peur
      qu'un Palestinien fasse exploser sa bombe près de l'établissement,
      explique au téléphone la collaboratrice de l'adjoint au maire, chargée
      de l'éducation. Nous avons dû envoyer la police chez une mère qui,
      par peur, séquestrait sa fille depuis un mois. Les titres de la presse populaire ne font rien pour calmer la tension
      ambiante. Ce serait même plutôt le contraire puisqu'ils évoquent
      quotidiennement et en lettres grasses les roquettes palestiniennes braquées
      sur les villes du centre du pays, les commandos du Hezbollah qui se
      seraient infiltrés dans les territoires palestiniens, les missiles
      atomiques iraniens visant Israël... Cette peur est physiquement palpableIl suffit que la radio évoque un « blitz » de kamikazes
      palestiniens sur nos villes comme elle le fait régulièrement pour que la
      fréquentation de ma consultation augmente, affirme Helena Dolman, un
      médecin de famille de Tel-Aviv. La majorité de mes patients se plaint
      d'aigreurs d'estomac, de maux de tête, d'éruptions cutanées a priori
      inexplicables et de problèmes de sommeil. Des propos confortés par
      ceux d'Edna Songerman, une psychologue de Hertzlya (banlieue nord de
      Tel-Aviv) selon laquelle les consultations pour des crises d'anxiété
      et les états dépressifs sont en nette augmentation. Les gens ont un profond besoin de protection, affirme-t-elle. Et
      surtout maintenant. Ce qui explique sans doute pourquoi les médecines
      parallèles axées sur les soins du corps remportent un tel succès.
      Et peut-être aussi pourquoi le nombre de demande de permis de port
      d'armes introduits au ministère de l'Intérieur a augmenté de 350 %
      en deux ans. Chez Natal, une association de bénévoles qui prend en charge les
      victimes d'attentats, leurs proches, et tous ceux qui se sentent menacés
      d'une manière ou d'une autre, les numéros d'appel gratuits sont
      constamment occupés. Cela n'était jamais arrivé auparavant,
      affirme une attachée de presse. Il suffit que des violences éclatent
      pour que nos standardistes soient débordées. Pourtant, Ariel Sharon, ses ministres et les responsables de Tsahal répètent
      à l'envi que le pays est fort. Et qu'il n'a rien à craindre de
      personne. Mais, dans le même temps, l'Association israélienne des
      pharmaciens reconnaît que ses membres n'ont jamais vendu autant de
      tranquillisants que ces derniers mois. Elément significatif : au début du soulèvement palestinien, le
      flux d'immigrants venant s'installer en Israël est resté constant. Or,
      le 17 février, le Bureau central des statistiques a révélé que ce
      n'est plus le cas et que le nombre de nouveaux émigrants (quarante-cinq
      mille personnes) a diminué de 28 % en 2001. Et tout porte à croire
      que les départs vers l'étranger se multiplient. Il n'existe aucune
      statistique, mais plusieurs déménageurs internationaux contactés
      confirment le mouvement. En outre, les files s'allongent tous les matins
      devant certains consulats. Fort courus, les Etats-Unis, le Canada et
      l'Australie, mais également les îles Vanuatu où une société israélienne
      baptisée Mondragon a acheté d'immenses étendues de terres qu'elle
      redistribue à ses coopérateurs. Moyennant cinq mille euros, des
      ressortissants de l'Etat hébreu ont ainsi acquis un lopin de terre vierge
      (trois hectares) et le droit de résider à vie dans cette république.
      Ils seraient déjà dix mille à avoir pris une option...· |