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Lecture controversée de l'arrêt de La Haye
Pourquoi Sharon n'est pas Yerodia
Poursuites contre Sharon impossibles ? Défaite des droits de l'homme ?
Pas si sûr... sauf dans le cas de Pinochet. Car l'arrêt de La Haye reprécise
les termes de l'immunité.
JEAN-PAUL COLLETTE
Une chose était sûre, vendredi, au lendemain de l'arrêt de la Cour
internationale de Justice annulant le mandat d'arrêt lancé par la
Belgique contre l'ex-ministre congolais Abdoulaye Yerodia : la décision
prise à La Haye fait et fera couler beaucoup d'encre.
Non seulement parce qu'elle pèse « politiquement » sur des
procédures sensibles en cours, l'affaire Sharon en premier lieu, ni parce
qu'elle est ressentie comme un recul par de nombreux défenseurs des
droits de l'homme, mais aussi... parce que tous les juristes ne lisent pas
ainsi les effets de l'arrêt.
Pour le spécialiste de droit international à la KUL Jan Wouters,
l'arrêt Yerodia confirme une règle établie dans le droit : la
Justice peut ouvrir un dossier à l'encontre de quelqu'un qui jouit d'une
immunité mais celle-ci rend certains actes d'instruction impossibles. Comme
le lancement d'un mandat d'arrêt...
Tel est manifestement le cœur de la controverse. Ceux qui interprètent
la décision de La Haye comme un coup de frein à la procédure engagée
contre le Premier israélien Sharon, voire comme un feu rouge à d'autres
actions du même type, lisent que l'immunité d'un chef d'Etat ou d'un
ministre en exercice est soulignée et sort renforcée de l'arrêt. Les
autres en retiennent l'impossibilité de poser certains actes
d'instruction.
Un des avocats des parties civiles (palestiniennes du Liban) contre le
Premier ministre israélien, Me Michel Verhaeghe, se rangeait à cette
opinion : L'instruction dans l'affaire Sabra et Chatila peut se
poursuivre. La compétence universelle n'a pas été déclarée illégale
ou contraire aux principes d'immunité, ni une instruction menée sous
cette compétence universelle. Dans son arrêt Yerodia, la Cour demande à
la Belgique d'annuler le mandat d'arrêt, pas d'annuler l'enquête.
Il convient d'ailleurs de préciser que, dans l'affaire Sharon,
personne n'a demandé ou même évoqué de mandat d'arrêt contre le
Premier ministre. Ni le parquet de Bruxelles, ni les parties civiles, ni
le juge d'instruction.
De son côté, le défenseur belge d'Ariel Sharon, Me Adrien
Masset, préfère souligner que l'arrêt de La Haye renforce l'immunité
d'un chef d'Etat ou de gouvernement en exercice. Et il l'interprète :
Mettre l'action publique en mouvement, c'est en soi porter atteinte à
l'immunité de juridiction reconnue par la Cour de justice internationale.
Me Masset admet que la Cour de La Haye n'avait pas à se
prononcer sur la légalité des poursuites dans l'affaire Yerodia, et
a fortiori dans une affaire non évoquée devant elle - l'affaire
Sharon. Une évidence pour tous les juristes mais, comme on le lira
ci-dessous, elle a échappé dès jeudi soir à la majorité des
commentateurs israéliens.
Il apparaît aussi que l'arrêt Yerodia invoque l'immunité d'un
ministre des Affaires étrangères, comme celle d'un chef d'Etat ou de
gouvernement, dans l'exercice de ses fonctions.
La Cour de La Haye a d'ailleurs elle-même énoncé une série de
circonstances dans lesquelles cette immunité n'existe plus : si le
responsable visé est poursuivi dans son propre Etat; si cet Etat lève
lui-même l'immunité de son ressortissant; si le responsable est
poursuivi par une Cour internationale qui en a la compétence, comme le
Tribunal pénal pour l'ex-Yougoslavie.
« La compétence universelle n'a pas été déclarée illégale »
Le quatrième cas est le plus intéressant : si le ministre ou
chef d'Etat n'est plus en fonction. Il peut alors être poursuivi à l'étranger
pour des faits commis avant ou après son mandat ou pour des faits commis
comme personne privée pendant l'exercice de ce mandat.
Ainsi rappelés par La Haye, les termes et limites de l'immunité
indiquent qu'Ariel Sharon ne pourrait échapper à des poursuites à
l'expiration de son mandat de Premier ministre - puisque les faits
qui lui sont reprochés (liés aux massacres de Sabra et de Chatila, en
1982) ne sont pas contemporains de sa fonction. Et que celle de ministre
de la Défense, qu'il exerçait alors, n'est pas couverte par une immunité
internationale.
Ce scénario restera valable quoi que la Chambre des mises en
accusation de Bruxelles décide, le 6 mars prochain, lorsqu'elle
statuera sur la recevabilité des poursuites contre lui.
En revanche, l'arrêt Yerodia signifie que les poursuites engagées à
l'étranger contre l'ex-dictateur chilien Augusto Pinochet ne seraient
plus possibles : les faits reprochés au vieux militaire ont été
commis dans l'exercice de ses fonctions, pour laquelle il reste couvert
par l'immunité.
En ce sens, les défenseurs des droits de l'homme expriment une légitime
déception.·
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